Suite à notre appel à l’écriture, Filippo Pavone s’est prêté à l’exercice et nous a envoyé son récit » Disparu au champ d’honneur « . Une histoire touchante mêlant amour et mélancolie…
Disparu au champ d’honneur
Novembre 1918, l’armistice venait d’être signée, partout en France, en Europe et en grande partie dans le monde un cri unanime retentit, un cri de joie, de libération, de paix : la guerre est finie…
Ce conflit plein de drames et de douleurs, plein de misère et de sacrifices, qui avait duré quatre ans et qui avait coûté des millions de victimes passées maintenant dans les annales de l’histoire.
Dans la France entière, dans les villes, les villages, partout on dansait, on chantait la victoire de nos soldats, les gens réapprenaient à vivre, commençaient à respirer un air plein de liberté, à percevoir un avenir plus radieux.
D’autres par contre, leur bonheur n’était pas complet, ils pleuraient la mort d’un être cher, d’un fils, d’un père, d’un parent, la fin de cette maudite guerre ne faisait pas que des heureux.
Dans ce petit village du nord de la France c’était l’effervescence, tous les habitants s’étaient rassemblés à la gare et attendaient l’arrivée du train qui ramenait les hommes partis combattre sur le front.
Le village avait été libéré quelques mois auparavant par les anglais et les américains. Cette libération avait donné la foi en l’avenir à tous les habitants et surtout à Zoé.
Le maire en tête avec son écharpe tricolore, suivit des édiles, la fanfare prête à entonner la Marseillaise, les enfants brandissant des petits drapeaux bleu, blanc, rouge et tous les habitants qui attendaient la venue des héros, chacun espérant revoir encore vivant son être cher, son héros.
Zoé attendait sur le quai, un bouquet de fleur à la main, son mari Séraphin partit à la guerre trois ans auparavant. Elle avait vécut trois ans de frustrations et de peines, trois ans de peurs et de rancœurs, trois ans d’occupation et de d’hostilité mais aussi trois ans d’espoir et de prières.
Elle pensa au moment lorsque son mari suivit le peloton des engagés volontaires du village, il lui avait dit : » je ne peux pas rester ici à ne rien faire, notre pays, notre région souffre, avec l’offensive en Champagne par les allemands de nombreuses personnes sont mortes ou sont oppressées je dois faire mon devoir ». Ces paroles avaient anéantis Zoé, mais elle comprenait que son mari était un patriote. C’était le deuxième contingent à partir pour le front et le dernier car peux de temps après les allemands envahissaient le village.
Cette attente était insoutenable pour elle, tous ces gens qui parlaient, riaient et chantaient sur le quai la rendait nerveuse, son cœur battait la chamade, la tête lui tournait, mais elle allait enfin revoir son mari, son amour.
Soudain le train annonça son arrivée par un sifflet strident et enjoué, au bout du quai on vit la carcasse noire de la locomotive expulser sa fumée grise et entrer dans la gare en amenant les wagons chargés de voyageurs accrochés aux fenêtres.
Les visages des villageois devinrent graves, les cris, les chants et les rires s’estompèrent, le silence devint pesant, ce train apportait tout l’espoir de quatre ans de tourment, de tristesse et de désolation, l’espérance faisait place maintenant à l’inquiétude.
Le train s’arrêta enfin dans un bruit de métal de freins sur les roues et de souffle chaud expulsé par la locomotive. Durant un long moment, voyageurs et villageois se regardaient sans dire un mot, sans bouger, ce fut le chef de gare qui remit du mouvement sur le quai en ouvrant les portes des wagons, les esprits se remirent en action dans un cri unanime » bienvenu les héros ». La fanfare entama alors la Marseillaise pendant que des soldats descendaient des wagons.
Mais cette liesse commune fut de courte durée car à peine une vingtaine de militaires se retrouvèrent sur les quais. Les yeux fatigués, le visage blême, les uniformes sales. Certains soldats étaient blessés, d’autres estropiés, la vision qu’ils présentaient n’était vraiment pas agréable. Peu à peu la musique s’arrêta et le maire oublia son discours. Il y avait un silence oppressant dans cette petite gare, l’inquiétude des villageois ressenties auparavant devenait réelle. Des hommes des deux contingents qui étaient partis à la guerre, plus de la moitié n’étaient pas revenus.
C’est alors que des appels fusèrent dans la foule, des noms et des prénoms retentirent un peu partout dans la gare, les gens appelaient les leurs, ceux qui étaient partis mais seuls ceux qui étaient présents répondirent à ses appels angoissants. On entendit des cris de souffrances, de désolations et des pleurs mais aussi des cris de joie. Le destin avait frappé des familles et elles allaient vivre avec cette dure réalité.
Zoé cherchait son mari à travers le visage des rescapés de la guerre mais elle ne le trouvait pas, elle courait à travers les gens regardant chaque soldat, demandant » avez vu Séraphin ? » et la réponse était toujours la même, douloureuse et flagrante » non madame ».
Le désarroi l’envahit, sa poitrine lui faisait mal, ses jambes se dérobaient sous elle, jamais elle ne pensait vivre une telle situation. Elle se mit à crier le nom de son mari » Séraphin, Séraphin Dupont » Comme seule réponse elle eut le sifflet du train qui annonçait son départ.
L’angoisse et l’affolement firent place à l’espoir du début, elle songea alors que son mari avait-il été retardé pour une raison impérative et avait peut-être pris un train plus tard » oui c’est ça’ se dit-elle. Pas un seul instant elle pensa que celui-ci ne reviendrait plus.
Parmi la foule elle vit alors Emile, entouré de sa famille, un ami qui était parti à la guerre en même temps que son mari. Cette apparition allait peut-être la rassurer, elle allait enfin savoir où était Séraphin. Elle se dirigea à toute hâte vers Emile, bousculant les gens sur son passage, ne s’excusant même pas, son appréhension était trop forte.
« Emile, Emile » s’écria -t elle en s’approchant de lui » as-tu-vu Séraphin ? ».
A la vue de Zoé, le visage d’Emile devint affligé, on crut apercevoir des larmes coulant de ses yeux fatigués, la peine avait fait place au bonheur d’avoir retrouvé les siens » Séraphin, dit-il, ma pauvre Zoé, cela fait presque un an que je ne l’ai pas vu ».
» que dis-tu ?, il a été blessé ou pire prisonnier, mais dis moi qu’il est encore vivant » fit Zoé toute tremblante, les paroles d’Emile l’avait complètement ébranlé
» Vivant ! » fit Emile en secouant la tête, » c’était en décembre dernier, nous sommes partis pour un énième assaut des tranchées allemandes, nous courions ensemble, baïonnette au canon, je suis passé devant en criant, puis nous avons entendu une déflagration assourdissante qui nous a projeté par terre, une bombe venait de tomber non loin de nous, lorsque je me suis relevé, Séraphin n’était plus là »
Ce que venait de raconter Emile était atroce pour Zoé, ce moment qu’elle redoutait, qu’elle avait enfoui au fond d’elle, cette vérité qu’elle appréhendait venait de lui éclater au visage » non, ce n’est pas possible, Emile dis moi que ce n’est pas vrai »
» Lorsque je suis rentré à la tranchée » continua Emile tout bouleversé » j’ai cherché Séraphin, mais notre officier m’a dit qu’il y avait eu beaucoup de pertes et que Séraphin était surement parmi les disparus »
Le monde s’écroula pour Zoé, cette affreuse nouvelle l’avait profondément traumatisée mais elle resta digne » va, rejoint les tiens et profite des retrouvailles ».
« non » fit Emile d’une voix douce « je ne peux te laisser seule dans cette situation, viens avec nous »
« je te remercie Emile, mais pour l’instant j’aimerais rester seule et pleurer mon Séraphin, alors que ton épouse Marie et tes enfants ont besoin de toi »
» Veux-tu au moins qu’on te raccompagne chez toi ? » repris Emile.
« merci, vas plutôt réconforter les tiens, ne t’inquiète pas pour moi, ça va aller, si tu veux demain venez à la maison toi et Marie » répondit Zoé en tentant de rassurer son ami.
Emile rejoignit sa famille et quittèrent la gare avec les autres villageois. Celle-ci se vida des gens et des voyageurs, il n’y avait plus personne sur les quais.
Dans cette gare vide, sous ce ciel gris de novembre, le temps venait de s’arrêter, c’est alors que Zoé tomba à genoux, les bras branlant, le visage en larme, elle pleurait de tout son corps son Séraphin qui n’était plus là.
Un an s’était écoulé dans ce village du Nord de la France, la vie avait repris dans le pays et les gens voyaient un avenir prometteur. Zoé portait son deuil dignement, pourtant, pendant des mois, la douleur et le chagrin étaient trop lourd à porter, mais maintenant elle avait retrouvé sa petite existence sans son Séraphin. Elle était retournée à l’usine de textile où elle travaillait avec son mari avant la guerre, il fallait bien vivre dans ces temps difficiles.
De temps en temps, le soir au coin du feu, Zoé relisait la dernière lettre que lui avait envoyé Séraphin, c’était une raison qui lui rappelait le passé et de sentir la présence de son mari
Ma bien-aimée,
Il me tarde de te revoir. Je peux te dire qu’ici, on crève ! L’autre jour j’ai vu Jean, le fils de l’instituteur, mourir sous mes yeux, insoutenable ! Maudite guerre ! Nos seuls compagnons dans ces tranchées devenues si familières sont les cadavres, les rats et les poux !
Je t’écris du chemin des Dames. Voilà cinq jours que nous avons repris La Caverne du dragon. Nous avons enfin les pieds au sec. On vient de finir d’installer le poste de secours.
Je voudrais que cette guerre se termine pour enfin t’embrasser. Ton Séraphin qui t’aime.
Emile et Marie venaient la voir souvent, elle se disait que des amis ainsi étaient chers à ses yeux et réconfortaient sa vie, ils parlaient de tout et de rien ainsi que des souvenirs qu’ils avaient eu avec Séraphin. Ils riaient de petites anecdotes mais aussi, de temps en temps, ils priaient pour l’âme du brave soldat tombé à la guerre.
Un jour le maire vint rendre visite à Zoé, il lui dit » nous venons d’ouvrir une souscription pour la construction d’un monument dédié aux soldats tombés à la guerre, nous avons certains noms, enfin ! Ceux dont ils ont été certifié par attestation, mais pour les disparus, nous attendons la confirmation du ministère de la guerre et comme vous le savez, Séraphin a été porté disparu ».
» je ne sais que vous dire, monsieur le maire, je fais mon deuil et certains souvenirs me sont pénibles dont celui du nom de Séraphin inscrit sur un monument » fit Zoé calmement.
« je sais ma pauvre Zoé, mais la vie continue et nous devons rendre hommage à nos héros tombés au champ d’honneur, la liste est longue, mais pour l’instant en ce qui concerne votre mari, je n’ai toujours pas de nouvelles du ministère » repris le maire.
Ce que venait de dire le maire avait rendu Zoé un peu inquiète « et si le ministère ne donne aucune information parce que il ne retrouve pas mon mari, je n’aurai même pas une tombe pour me souvenir de lui »
Le maire se voulut rassurant et juste avant de partir il dit : » allons courage, bientôt nous aurons des nouvelles »
Cet entretien avec le maire avait laissé la pauvre femme dans le désarroi, en effet, le fait que son mari serait porté disparu à jamais, était pour elle la fin du monde, mais à part quelques photos jaunies par le passé et les quelques lettres de Séraphin écrites durant la guerre, comment pouvait-elle vivre dans le souvenir de celui-ci.
Ainsi l’avenir pour Zoé s’annonçait triste et ordinaire, sans Séraphin, sans enfants et sans famille, elle pensa qu’elle ne pouvait pas vivre dans cette situation mais elle se dit « je ne peux pas me suicider, Séraphin n’aurait pas été d’accord et puis tant qu’il y a de l’incertitude, il y a peut-être de l’espoir ».
1920, le temps a passé mais Zoé n’a jamais oublié malgré le ministère qui n’avait toujours pas statué sur la disparition de Séraphin, maintenant elle s’en faisait une raison.
Un soir, Zoé se sentait quelque peu énervée, voire angoissée, depuis plus d’une heure, elle jetait de temps en temps un regard par la fenêtre mais elle n’apercevait rien de bizarre, seul le lampadaire qui éclairait le coin de la rue lui renvoyait une faible lueur balancée par la brise du soir. Néanmoins, elle sortit sur le pas de la porte, ne fusse que pour se rassurer de son angoisse. Elle tâcha de distinguer quelque chose dans la pénombre mais dans un premier temps elle ne percevait rien, puis en y prêtant plus attention elle remarqua une ombre dans la porte cochère de l’autre côté de la rue, un peu apeurée elle s’écriât « qui va là ? ».
Elle entendit alors un léger murmure, presque comme un sanglot, « allons, montrez vous » reprit-elle. Elle releva sa lanterne au pétrole pour mieux inspecter les lieux.
La silhouette s’avança alors lentement dans la lumière, le vent balançait machinalement le lampadaire si bien que cette silhouette était éclairée par intermittence.
L’homme quitta sa cachette improvisée, en s’avançant vers Zoé on entendait le clap de bois battant le sol, Zoé vit alors qu’il manquait une jambe à cet étrange personnage, et que le bruit était celui de deux béquilles.
Aussi étrange était-elle, cette silhouette avait quelque chose d’habituel, Zoé n’avait pas discerné le personnage mais elle ressentait une vive émotion.
L’homme s’approcha d’elle et dit » Zoé tu ne peux me voir ainsi diminué » Cette voix, cet apparence, frappa comme un fouet l’esprit de la femme à presque s’évanouir. Cet homme qu’elle attendait depuis deux ans, cet être cher qu’elle chérissait dans son cœur, lui dont l’espoir de le revoir un jour n’avait jamais faibli, était là. Séraphin était de retour.
L’homme vêtu d’un costume sombre tout fripé, affublé d’un vieux chapeau, le visage marqué de cicatrices et cette jambe gauche qui lui faisait défaut, ne voulait pas qu’on le regarde ainsi.
» je voulais simplement revoir la maison et t’apercevoir avant de quitter la région » dit-il avec prévenance, » tu n’as pas besoin d’un homme invalide, tu dois refaire ta vie et vivre heureuse »
Zoé n’en croyait pas ses yeux, elle était ébranlée devant son mari qu’elle parvint à dire : » mais Séraphin c’est toi mon bonheur ».
« regarde moi, Zoé, je suis devenu un demi homme, tu devras t’occuper de moi chaque jour, tu mérites mieux que ça » fit Séraphin.
Cette fois, l’émotion s’estompa chez Zoé, une sorte de colère l’envahit » ah, non, maintenant que tu es là, tu ne vas pas me faire le coup de l’handicapé, tu es mon mari avec ou sans jambe, nous nous sommes jurés de vivre ensemble jusqu’à la mort, et nous le ferons, allons rentre à la maison et raconte moi tout »
Le caractère d’une femme est fort lorsqu’il y a le bonheur et l’amour en jeu et Zoé ne voulait pas perdre les deux.
Ils rentrèrent dans la maison, Séraphin une fois chez lui, ressentit enfin l’ apaisement et Zoé retrouva la sourire » mon amour, bienvenu chez toi ».
Devant une tasse de café, au coin du feu, Séraphin raconta sa triste et douloureuse aventure.
« Nous étions au Chemin des Dames, un jour arriva l’ordre de reprendre la colline située non loin de Craonne, Emile, moi et tous les autres sommes partis à la charge, soudain une forte déflagration me projeta à plus de dix mètres d’Emile, dans un premier temps j’étais inconscient mais lorsque je suis revenu à moi, je me suis aperçu que j’avais perdu ma jambe gauche, j’avais horriblement mal, j’ai pensé que j’allais mourir, je suis resté là un certain temps, je ne sais pas combien, ce furent les allemands qui me recueillirent et me transportèrent dans une clinique où ils me soignèrent, finalement ces boches ne sont pas si mauvais que ça, néanmoins je suis resté prisonnier jusqu’à six mois après la fin de la guerre, car lors de la déflagration, j’ai perdu mon médaillon d’identification et j’avais de nombreuses pertes de mémoire, si bien que il a fallu un certain temps avant que je retrouve mon identité. Ensuite j’ai été transfère dans un hôpital français où on m’a appris à me déplacer en béquilles, je suis resté plus de huit mois dans cet hôpital. Quant j’ai quitté l’hôpital, je ne voulais pas rentrer à la maison, je ne voulais pas que tu me vois ainsi, j’ai erré de villes en villes jusqu’à aujourd’hui matin. Je voulais te revoir, c’était plus fort que moi, alors j’ai pris le train et je suis arrivé en début de soirée, et me voici devant toi, ma femme adorée »
Zoé pris la main de son mari, » tu es enfin là et c’est tout ce qui compte, nous allons reprendre notre vie, peu importe la situation, nous ferons face ensemble ». Celui que l’on croyait disparu était de retour.