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Guillaume Bouvy – Journaliste

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Présentation de Guillaume BOUVY
Interview réalisée par le collectif Machine Sauvage

Les publications du Guillaume Bouvy

Vous pouvez retrouver l’ensemble des interviews réalisées par Guillaume Bouvy sur les différentes pages des artistes.

Les biais cognitifs désignent, en science sociale, une distorsion des idées dans le traitement d’une information. Dans ce cas de figure, la logique et la raison sont déviées par rapport à la réalité, ce qui altère notre jugement. Depuis janvier et de façon crescendo, de nombreux travers de cet ordre ont pu être constatés, qu’ils proviennent de dirigeants politiques, scientifiques, médecins et citoyens. Les médias ont par ailleurs pu véhiculer ces biais cognitifs. Plus que jamais, l’esprit critique et la prise de recul sont donc nécessaires en temps de crise.

S’il est encore bien trop tôt pour établir un bilan, il est toutefois possible d’établir un lien entre les comportements qui ont pu être observés au cours de ces derniers mois et les biais cognitifs induits par des situations exceptionnelles : une crise sanitaire et un confinement. La peur biaise et déforme la capacité de réflexion sur la situation. Faisant face à quelque chose d’inédit, le cerveau peut sous-estimer certains risques par une mauvaise compréhension de la réalité. Face à un phénomène nouveau, la modélisation et l’analyse d’un fait comme le COVID-19 se rattache à un modèle mental connu. Dès lors, c’est ainsi que la majorité des politiques et médecins ont pu qualifier de « petite grippe » ce qui était en réalité un réel danger comme les semaines qui ont suivi l’ont démontré.

Confusion entre liberté d’expression et légitimité à parler

La sous-estimation du danger, par des comparaisons hasardeuses (notamment de la peste ou encore de la grippe espagnole), a entraîné une confusion entre la liberté d’expression et la légitimité à parler. Beaucoup de personnes se sont mis à mettre en avant la chloroquine, comme solution, et de fait, il s’agissait de l’un des seuls espoirs. Cet autre biais cognitif consiste à s’accrocher à l’idée que cela allait nous sauver, alors même que les études et essais cliniques ne permettaient ni de l’infirmer ni de l’affirmer. Il s’agit du biais de confirmation : dans une situation ambiguë, nous avons une capacité illimitée à sélectionner des informations qui vont confirmer ce que nous pensons, en ignorant tout ce qui irait à l’encontre de nos convictions. Cela a pour effet de renforcer nos croyances. De là cette dangereuse confusion entre la liberté d’expression, inaliénable et propre à la démocratie, et la légitimité d’experts plus ou moins auto-proclamés au sein des cercles familiaux, amicaux, politiques et médiatiques.

Olivier Sibony, enseignant à HEC Paris, a proposé début avril une conférence en ligne sur la thématique « Les biais cognitifs en temps de crise ». Il relevait ainsi : « Une situation stressante peut avoir un effet d’amplification en temps de crise. Le besoin d’avoir un leader fort peut se ressentir, qui a pu s’incarner à travers le Professeur Raoult, qui peut être une figure rassurante. Par ailleurs, il est apparu dans une position d’anti-système, comme l’avaient pu l’être les Gilets Jaunes. » Olivier Sibony explique également que le fait de croire que la croissance du virus allait nécessairement être exponentielle était contre-intuitif. Dans les faits, la courbe des personnes contaminées par le virus a été beaucoup plus rapide. Le nombre absolu des décès au début était faible, ce qui n’a pas poussé à s’alarmer, d’où la sous-estimation de la pandémie. D’autres, au contraire, ont sur-réagi, en témoignent les stocks de papier toilettes et autres denrées alimentaires au début du confinement, alors que les réapprovisionnements des magasins étaient assurés.

Effet de groupe et irrationalité  

Cet autre biais, résumé par les mots un peu barbares d’endogroupe et d’hexogroupe, renvoie à ce que nous percevons dans notre entourage et environnement d’une part, et la perception que nous avons des autres, qui sont loin et/ou différents. Tant que le COVID-19 était circonscrit à Wuhan et à la Chine, il n’y avait pas lieu de s’inquiéter, puisque le danger était loin. Mais dès lors que l’Italie ou encore l’Espagne ont été touchés, l’inquiétude a pris le dessus sur cet excès de confiance irrationnel. Le comportement enfin est aussi fonction du comportement des autres. Quand la norme sociale devient de rester à l’écart des espaces publics, les personnes vont imiter ces comportements (ou à l’inverse en se rendant dans les jardins alors même que les pics de décès étaient très hauts). Le maintien du premier tour des élections législatives pour finalement annuler le second tour est très révélateur de ce biais.

Impatience et rétrospectives biaisées

Le biais rétrospectif consiste à regarder dans le rétroviseur et en tirer des bilans, même dans le passé et malgré des paramètres et situations très différents. On aura le sentiment a posteriori que ce qui est arrivé était inévitable et que les décisions qui auront été prises par les pouvoirs politiques auront nécessairement été les mauvaises. Il est préférable de s’appuyer sur les faits plutôt que par analogie. Ce qui présuppose d’accepter l’incertitude et être patient. La réalité et encore à ce jour, c’est que personne ne sait rien au sujet du COVID-19. Il est important de rester humble. Nous restons des humains, des êtres faits de chairs et de sentiments.

La plupart des médias ont fait le choix de relayer davantage la crise sanitaire que la crise économique et sociale qui était en train de se dérouler. Alors que 75% des contenus avait trait au COVID-19, un quart des Français continuaient à être convaincus que le virus avait été créé en laboratoire, ou encore qu’il était le résultat du déploiement de la 5G. Plus que jamais, il est nécessaire de varier ses sources d’information et ne pas se laisser bercer par de beaux discours ou par des théories complotistes qui peuvent cacher des prises d’intérêts tout aussi dangereuses que les systèmes mis en cause.

Les biais cognitifs sont universels et concernent invariablement les hommes et les femmes, même si certains sujets feront une différenciation. Il est fort à parier que dans les semaines à venir, et ce encore plus depuis le récent déconfinement, les actions et comportements des personnes ne suivront pas forcément des schémas logiques et rationnels, qui par besoin de grand espace, qui par envie de liberté, qui par frustration accumulée, qui par nécessité financière, qui par volonté politique ou pour s’ériger contre un système que certains estimeront comme responsable.

Guillaume Bouvy

Depuis la propagation du COVID-19 à travers le monde entier, les projecteurs des réseaux sociaux et la plupart des médias se sont braqués sur le virus, avec plus ou moins de rigueur sur la vérification des informations délivrées. En France, une loi portant sur les fausses informations a été promulguée en décembre 2018. Des réflexes et des outils peuvent être adoptés, dans le cadre de la citoyenneté et du libre arbitre.

La loi dite « fake news » ou « loi infox » définit les fausses informations comme « des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin, diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisé et massive ». Cette loi a fait couler beaucoup d’encre et continue encore à susciter des débats. En cause, les contours flous de sa définition des fausses informations, qui pourrait dans certains cas menacer la liberté de la presse, voire la liberté d’expression par une censure trop zélée de la part des fournisseurs de contenus et réseaux sociaux. Pour rappel, la loi sur la liberté de la presse de 1881 prévoyait déjà, dans l’article 27, une réglementation sur les fausses nouvelles, article modifié en septembre 2000, et entré en vigueur en janvier 2002 : « La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d’une amende de 45 000 euros. Les mêmes faits seront punis de 135 000 euros d’amende, lorsque la publication, la diffusion ou la reproduction faite de mauvaise foi sera de nature à ébranler la discipline ou le moral des armées ou à entraver l’effort de guerre de la Nation. »

Sens critique : activé

Notre raison et notre sens critique sont les remparts, plutôt que ses émotions et ses affects. Ces derniers peuvent entraîner une déformation de la réalité, et des prises de décisions faussées (voir l’article portant sur les biais cognitifs). Face à une information, le doute doit toujours être mobilisé. Plusieurs questions peuvent se poser :

Quelle est l’intention? Encore plus lorsque le sujet est sensible (les migrants, la politique, la religion et autres croyances), il est nécessaire de faire un pas de côté et prendre du recul. Dans le cas des chaînes transférées par e-mail ou par les réseaux sociaux, il est parfois difficile d’identifier l’auteur originel. Dans ce cas, une recherche sur Internet peut vite dissiper les doutes. Je reçois par exemple un lien pointant du doigt la création du COVID-19 par un laboratoire français. En saisissant les mots-clés « création covid-19 laboratoire wuhan », les premiers résultats permettent déjà de pondérer voire infirmer cette information. Les mots-clés seront déterminants et différents, si par exemple vous indiquez « mensonge covid-19 labo », de tout autres résultats apparaîtront, principalement des blogs ou des vidéos complotistes. Avant de partager un contenu, mieux vaut donc attendre d’avoir plus d’éléments tangibles et concordants.

 

Vérifier les dates de publication : Internet regorge d’informations, et la rapidité avec laquelle il est possible d’envoyer un message, transférer une vidéo ou une image peut conduire à des raccourcis et déformations. Dans les débuts du développement du COVID-19, beaucoup d’amalgames et de confusions ont pu être commis avec le SRAS-CoV (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère), qui avait sévi en 2002 et 2003. Une fois de plus, une recherche rapide peut permettre de savoir s’il s’agit d’une désinformation ou d’une fausse information, si l’on constate que des faits supposés actuels proviennent en réalité du passé.

Prudence et vérification des sources : cette partie est sans doute la plus difficile, dès lors que même des dirigeants politiques et journalistes, figures censées délivrer des informations fiables, ne le font pas ou le font, parfois, mal. Ces maladresses aux conséquences potentiellement fatales, et davantage lors d’une crise sanitaire, contribuent à une forme de discrédit. L’exemple en est pour le port des masques ou encore de l’hydroxychloroquine, qui a finalement été interdite en tant que traitement du COVID-19 à l’hôpital.

Plus que jamais, c’est dans ces périodes que le sens critique de chacun doit être pleinement mobilisé. Un peu comme lors des enquêtes policières où l’inspectrice ou l’inspecteur se demande « à qui profite le crime ? », il faut se poser la question : « quels sont les intérêts en jeu ? ». Cela peut déboucher sur une myriade de questions et pistes : politiques et influences, économiques et financières, sociales, industrielles, culturelles, religieuses… La plupart des médias sont des entreprises et groupes de presses, ils ne sont donc pas exempts de ces jeux de pouvoirs et de prises d’intérêts économiques. Leur modèle économique dépend majoritairement des annonceurs et de la publicité. En 2015, le scandale dit du « dieselgate » éclate : le groupe Volkswagen avait exercé des pressions sur le contenu éditorial de médias français, en menaçant d’annuler des campagnes publicitaires, sources considérables de revenus des médias en question. C’est pourquoi il est important de savoir quelles sources nous consultons, et quels sont leurs liens.

Lire Valeurs Actuelles n’aura pas le même impact que lire L’Humanité. Sur les réseaux sociaux, les sources et les lignes éditoriales sont beaucoup moins claires, la prudence y est donc de mise. Les commentaires et des recherches peuvent permettre de lever des doutes.

Attention, à l’inverse, il ne faut pas systématiquement douter de tout, et tout particulièrement des sources officielles (gouvernementales et médias reconnus), le risque étant de verser dans le complotisme. Même si les erreurs et imprécisions de ces derniers peuvent entraîner un rejet, tout n’est pas à jeter. Le « tous pourris » n’aide pas à la compréhension du monde qui nous environne. Croire à des théories selon lesquelles les Américains ne sont jamais allés sur la Lune, qui serait une mise en scène en studio par le cinéaste Stanley Kubrick serait nier les faits historiques et archives désormais déclassées. C’est d’ailleurs sur ce même genre d’arguments que s’appuie le négationnisme vis-à-vis de la Shoah. Le COVID-19 a été rapidement le terreau de théories plus ou moins plausibles, de la création en laboratoire du virus (alors qu’en réalité il s’agissait d’autres essais sur un autre virus). Le mieux reste de croiser les informations, et ne pas s’informer par un seul canal. On pourra ainsi écouter la radio, lire la presse généraliste mais aussi des médias indépendants, consulter des sites internet et des chaînes télévisées et en ligne.

Des outils pour tous les goûts et sensibilités

La vérification des faits n’est pas récente. En effet, l’émission Arrêts sur Image, animée par Daniel Schneidermann, créée en 1995, avait donné naissance à l’association Acrimed, présentée comme « l’observatoire des médias », et qui existe encore. Les rubriques, actions et médias dédiés à la lutte contre les désinformations se sont développés au fil de ces dernières années, et plus particulièrement avec l’expansion des réseaux sociaux, mais aussi après les attentats à Paris en 2015, et ceux à Nice en 2016. On peut citer parmi ces sites l’observatoire du conspirationnisme Conspiracy Watch, fondé par des universitaires, qui décryptent et analysent depuis 2007 les théories du complot au fil du temps et des pays. Deux autres médias se sont lancés dans la vérification des informations, à commencer par Le Monde, à travers la rubrique en ligne Les Décodeurs, créée en 2014, ainsi qu’un moteur de recherche, le Décodex, qui permet de servir d’outil d’évaluation de la fiabilité des sources d’information. En guise d’illustration, si l’on cherche legorafi.fr, les informations suivantes s’afficheront : « Le Gorafi » est un site satirique créé en 2012 qui parodie les sites d’information français. 

sa page Facebook  sa page Twitter

Notre avis :

Attention, il s’agit d’un site satirique ou parodique qui n’a pas vocation à diffuser de vraies informations. A lire au second degré.

Autre exemple, pour RT (Russia Today) :

Russia Today

Une chaîne de télévision associée un site d’information, financée par le pouvoir russe, créée en 2005 dans le but de donner une image plus favorable de Vladimir Poutine à l’étranger. Ce média explique qu’il relaie « la position russe », et peut présenter des enquêtes de qualité, mais présente le biais de toujours relayer des informations favorables à Moscou. Il a ainsi affirmé à tort que Slobodan Milosevic (dirigeant serbe proche de la Russie) avait été blanchi par le tribunal pénal international, ou relayé de fausses informations sur des tortures au Bataclan le 13 novembre 2015. 

sa page Facebook  sa page Twitter  sa chaîne Youtube

Notre avis :

Soyez prudents et croisez avec d’autres sources. Si possible, remontez à l’origine de l’information.

Bien que ces avis restent subjectifs, les faits et arguments sont vérifiés et peuvent être croisés avec d’autres avis et données. Un autre outil peut être utilisé : CheckNews, développé par le journal Libération en 2017. Les journalistes du service Désintox s’appuient en partie sur les questions des internautes. Le site de franceinfo a également une rubrique Désintox dédiée à la vérification des informations. Dans le contexte du COVID-19, un réseau de vérification des faits, Journalistes solidaires, a vu le jour. Il réunit une soixantaines de journalistes professionnels bénévoles, des experts et des citoyens.

En fin de compte, tout un chacun est libre de penser ce qu’il souhaite, dans le respect de la loi et de la liberté d’expression. En revanche, la diffusion de fausses informations sont préjudiciables à la démocratie et sont punis. Dans le cadre du COVID-19, cela peut même conduire à la mise en danger de la vie d’autrui, si l’on pense notamment à des recommandations de boire de la javel ou autres traitements « maison ». Comme l’énonce le proverbe, « Quand le mensonge prend l’ascenseur, la vérité prend l’escalier, elle met plus de temps mais finit toujours par arriver ». Il faut donc savoir être patient.

Guillaume Bouvy

Pour aller plus loin :

https://www.vie-publique.fr/eclairage/24108-fausses-nouvelles-manipulation-comment-lutter-contre-les-fake-news

https://www.lemonde.fr/podcasts/article/2020/04/09/pourquoi-y-a-t-il-autant-de-fausses-informations-en-ligne_6036088_5463015.html

https://30secondes.org/module/pourquoi-partage-t-on-les-fausses-nouvelles/

https://www.philomedia.be/fake-news-pourquoi-partageons-nous-des-contenus-faux/

https://blog.digimind.com/fr/tendances/fake-news-8-points_importants-comprendre-combattre

https://www.marianne.net/debattons/les-mediologues/pourquoi-y-t-il-autant-de-fake-news-sur-internet

 

Pour aller plus loin

Site web : journaliste-lyon.fr